Un garçon singulier accepte de s'occuper d'un autre garçon encore plus singulier. Il en résulte une exploration de l'enfance accompagnée de la progression psychologique qui, dans les romans de Grimbert, suit habituellement la plongée dans le passé – on n'est pas psychanalyste pour rien.

S'il y a un terme qui me semble définir ce roman à bien des niveaux, c'est le qualificatif d'« inachevé ». Sur le plan de l'histoire, d'abord, avec sa conclusion qui n'en est pas une. Les détours psychologiques par lesquels nous entraîne Grimbert me paraissent exiger un dénouement autrement plus solide, qui réponde aux multiples questions que le lecteur se pose. Qu'est-il advenu d'Antoine en son temps? Quelle prise de conscience Louis retire-t-il de cette incursion dans le passé? Que devient Helena? Je veux bien admettre que l'auteur, ayant choisi le point de vue du personnage principal, qui est ici le narrateur (Louis), soit obligé de nous laisser en suspens, son propre concept l'empêchant de tenir le rôle du narrateur tout-puissant. Nous sommes censés nous trouver dans la vie, où l'on n'a pas toutes les réponses, et pas dans la fiction. Mais je me permettrai d'avancer que la construction de Grimbert ne tient pas : d'une part, la subjectivité choisie aurait dû être beaucoup plus intéressante pour nous séduire, par exemple nous ouvrir des perspectives psychologiques ou poétiques plus convaincantes. D'autre part et surtout, cette prétendue subjectivité n'est qu'une objectivité déguisée, le psy ne pouvant s'empêcher ici de tenir son rôle de thérapeute qui observe l'évolution des rapports entre ses patients, faussant par là même le concept littéraire que son alter ego écrivain a choisi.

Du côté des personnages cela ne va guère mieux. Le caractère imprévisible et indéfinissable de la mère est trop multiple pour être vraiment crédible. Grimbert fait de toute évidence son possible pour éviter de rejeter, même implicitement, la faute du problème de Iannis sur les parents de celui-ci, en particulier sur sa mère. C'est tout à son honneur, mais le caractère si changeant d'Helena, élément marquant du roman, reste alors en suspens sans déboucher ni n'aboutir à rien de significatif. D'autre part, la symétrie voulue entre les deux garçons, qui finissent par se rejoindre (la main dans la main au dernier paragraphe), leur structure en miroir (l'un reflet contrasté de l'autre) me paraît fonctionner beaucoup mieux comme concept abstrait que comme élément romanesque.

Quant au style, il est alerte au point d'en devenir fuyant – la comparaison qui me vient à l'esprit est l'eau d'une rivière, qui court sans cesse. Cependant, tout comme l'eau, il manque d'épaisseur, de couleur et de goût.

Bref, je le répéterai une fois de plus : le meilleur livre qu'ait écrit Grimbert à ma connaissance est Le Secret – sans doute parce que l'histoire lui tenait vraiment à cœur. Depuis, il pioche dans son expérience de psy sans parvenir à trouver sa personnalité d'écrivain. ( )