Bandes dessinées et autres oeuvres graphiques

ConversazioniLectures des francophones

Iscriviti a LibraryThing per pubblicare un messaggio.

Bandes dessinées et autres oeuvres graphiques

1Dilara86
Nov 11, 2022, 2:37 am

Voici un fil dédié aux bandes dessinées et autres oeuvres graphiques : récits, essais et romans graphiques, comics, livres illustrés etc. Ouvert à toutes et tous, il nous permettra de présenter nos lectures, de poser des questions et plus globalement, d'échanger sur le sujet.

2Dilara86
Nov 11, 2022, 3:24 am

Et j'inaugure le fil puisque j'ai justement terminé hier un récit graphique que j'ai bien aimé.

Le Droit du sol: Journal d'un vertige by Étienne Davodeau (lu dans le cadre de mon cercle de lecture et crossposté sur Club Read et Lectures des francophones)





Auteur français écrivant en français
Œuvre lue en français
Œuvre située en France
Date de la première édition : 2021


Une double page presque au hasard




Étienne Davodeau relate sous forme de bande dessinée sa randonnée-périple entre Pech-Merle dans le Sud-Ouest dont il admire la grotte ornée préhistorique, et Bure dans la Meuse, site d’un projet d'enfouissement de déchets radioactifs, et donc d’une ZAD (zone à défendre – une zone sur laquelle des militant·e·s écologistes s’installent pour empêcher toute construction de se faire). Ce voyage est l’occasion de rencontres avec des inconnu·e·s, des ami·e·s, des militant·e·s et des scientifiques. Il part de son expérience personnelle (Pech-Merle, Bure et sa traversée de la France) pour nous parler de grands sujets : énergie atomique, notion de temps, place de l’humain sur la Terre et des gens sur les territoires…
Au moment du choix du livre, j’ai été séduite par son idée de départ mais je n’étais pas sûre que la réalisation me plaise. Finalement, ça a été le cas. J’ai aimé le trait du dessin noir et blanc (ce qui n’était pas donné d’avance : j’ai souvent du mal avec le dessin réaliste en BD). Le propos était présenté de manière engageante et l’alternance entre les passages « paysagers » et les passages véhiculant des idées était bien vue. Un tout petit bémol cependant : le côté « infodump » de certaines pages scientifiques.



3raton-liseur
Nov 12, 2022, 4:57 am

>2 Dilara86: Merci pour ce fil et pour cette première contribution, Dilara!
Je n'ai lu que Le Chien qui louche d'Etienne Davodeau, et je n'avais pas du tout été emballée. Je suis depuis très réticente à lire quelque chose de lui...
Y a-t-il une logique dans son voyage, de Pech-Merle à Bure? C'est un étrange choix de périple, cela m'intrigue...

4Dilara86
Nov 12, 2022, 5:37 am

>3 raton-liseur: Le lien est thématique, je crois. D'abord, ce qu'on crée sous terre : d'une part, des oeuvres picturales pérennes, que peuvent admirer les descendants des Cro-Magnons, et d'autre part, des déchets radioactifs que devront gérer nos descendants pendant des milliers d'années. Ensuite, ça permet une réflexion sur le temps et la durée des artefacts humains. Et puis, c'est un itinéraire qui permet à Davodeau de traverser la fameuse "diagonale du vide", délaissée par les politiques et donc idéale pour planquer un projet impopulaire.

5LolaWalser
Nov 12, 2022, 3:19 pm

Quelq'un.e a déjà lu René.e aux bois dormants? Je n'en ai pas parlé ailleurs et ça fait déjà dix mois ou plus, mais il ne me quitte pas la tête... visuellement c'est une oeuvre epoustouflante, dérangeante meme, avec des couleurs choquantes et lignes rapides qui glissent partout, évoquant le monde des rêves dans lequel un petit garçon devient une fille et d'autres créatures... Et puis il y a le commentaire sur le destin des Premières Nations canadiennes, un fil triste et menaçant qui bouleverse toute l'histoire. Je vous conseille de googler les images de la BD pour apprécier la richesse graphique--c'est un bouquin enorme, plus grand que le standard.

6Dilara86
Nov 13, 2022, 3:33 am

C'est drôle que tu en parles : j'ai assisté à une table ronde sur le concept de l'épuisé·e avec l'autrice au festival des Utopiales il y a 15 jours. D'ailleurs elle a gagné le prix BD. J'ai été tentée d'acheter René.e aux bois dormants, mais entre le prix de vente (35 euros) et mes doutes sur son traitement de l'identité des premières nations, j'ai laissé tomber. Je craignais une instrumentalisation et une objectification/désincarnation de l'"Indien·ne", mis·e au service du propos. Je suis curieuse d'avoir ton avis, a-t-elle réussi à être respectueuse ?

7raton-liseur
Nov 13, 2022, 10:44 am

>5 LolaWalser: Non, je ne connais pas du tout. Cela a l'air intéressant, même si je ne crois pas que ce soit le genre de bd qui m'attire: ni les couleurs ni le ton symboliste qui a l'air de ressortir de la planche que tu as mise.
J'attendrai de lire quelques notes de lecture avant de me décider, je crois.

8raton-liseur
Nov 13, 2022, 10:51 am

Je lis quelques bd qui me laissent des sentiments mitigés en ce moment, alors pour contribuer à ce fil de discussion avec des notes de lecture plus positives, je remonte au début de 2022 et je vais mettre en ligne (une de temps en temps, pas tout d'un coup!) les notes que j'ai écrites pour des bd ou des récits graphiques qui m'ont plu.
Je commence par un récit graphique coréen, que j'ai lu en janvier de cette année. Désolée pour la redite pour celles et ceux qui ont déjà lu cette note de lecture dans ma liste de lecture de Club Read.

Un Matin de ce printemps-là de Park Kun-woong, traduit du coréen (Corée du Sud) par Lim Teong-hee et Catherine Biros
Titre original : 그해 봄



Mon père bien-aimé que j’ai du mal à nommer tant cela me déchire le coeur.
(p. 196, “Bananes : Ha Jae-wan”).

Ce n’est pas une bd qu’on lit en une petite après-midi de farniente… Déjà parce qu’elle fait plus de 300 pages (je crois que je n’ai jamais lu de bd aussi longue que ça), ensuite parce qu’il faut s’accrocher. Il m’a fallu la poser de temps en temps, surtout au début, tellement elle est chargée émotionnellement.
Ce manhwa (une bande dessinée produite en Corée, tout simplement, un manga mais de l’autre côté de la mer) relate un fait historique, l’arrestation, la torture, le jugement et l’exécution de 8 personnes en avril 1975, suite à des manifestations contre le changement de la constitution. 8 personnes innocentes, accusées d’être des espions de la Corée du Nord et d’avoir fomenté un coup d’Etat : deux accusations sans fondement, mais qui ont permis à l’Etat de détourner l’attention du grand public quand il en avait besoin. En 8 chapitres, l’auteur retrace le parcours de ces huit hommes, à la fois différents (des professeurs, des chefs d’usine) et semblables (tous sauf un sont maris et pères, la plupart vivent à Daegu, etc.), certains très impliqués politiquement, d’autres beaucoup moins. En fait, ce n’est pas vraiment leur parcours qui est retracé, mais plus le vide qu’ils ont laissé derrière eux et comment leur famille, femme et enfants, ont vécu avec cette absence pendant l’arrestation puis après l’exécution. Certaines femmes relatent les agissements politiques de leurs maris, d’autres n’en parlent pas, soit qu’il n’était pas impliqué politiquement soit qu’elles ne le savaient pas. Mais toutes décrivent une vie sous surveillance perpétuelle, le fardeau qu’est l’impossibilité de suivre les rites et les traditions, notamment au moment de l’enterrement, une vie en marge de la société et la nécessité d’exercer des petits boulots précaires pour survivre tant bien que mal sans cesser de se battre pour la réhabilitation de leur mari. Les enfants décrivent les vexations à l’école ou avec les camarades, la difficulté, parfois l’impossibilité, de se construire avec l’absence d’un père. Les 8 chapitres deviennent parfois un peu répétitifs, pourtant chaque histoire a quelque chose d’unique qui ressort sous les traits de Park Kun-woong.
Car ce livre est un livre graphique, il ne faut pas l’oublier. Lorsque je l’ai reçu et feuilleté, la noirceur des planches m’a rebutée, puis je me suis aperçue que les personnages n’avaient pas de visage (pas d’yeux, pas de bouche ou de nez), à quelques exceptions près. Je me suis demandée dans quoi je m’embarquais, et pourtant, cela fonctionne. Je ne saurais dire exactement pourquoi, mais cette absence de visage trouve sa place dans ce manhwa. Le jeu sur le noir intense et le blanc immaculé, sans jouer sur les nuances, donne l’impression de dessins simples, bien qu’ils soient en réalité très travaillés. L’absence de visage, l’absence de nuances obligent le dessinateur, et par ricochet le lecteur, à s’intéresser à d’autres aspects du dessin. Par exemple, les sentiments ne sont pas sur les visages, mais ils transparaissent dans les attitudes, dans la façon dont le corps est penché par exemple. La technique de dessin et le cadrage soulignent la douleur des propos, la renforcent et finissent par étreindre la gorge.

C’est donc un récit intimiste, mais c’est aussi un récit très ancré dans son environnement. Bien sûr parce qu’il relate un fait historique, mais aussi parce qu’il décrit la société sud-coréenne dans ses multiples aspects. Des petits faits, comme cela, au passage, comme la soupe de sang de bœuf, des répliques qui montrent à quel point la société est structurée et rigide (« Yeo Jeong-nam est mon aîné, comment je lui donnerias des ordres ?, page 285) ou à quel point les femmes sont dans une position de dépendance. Mais ce manhwa m’a aussi permis de réaliser à quel point la Corée du Sud avait été un régime dictatorial. Un peu naïvement, j’ai toujours vu la Corée du Sud comme les gentils, le rempart contre les méchants de la Corée du Nord. Et puis aujourd’hui, on regarde la Corée du Nord comme une incroyable anomalie sur l’échiquier mondial (ce qu’elle est, bien sûr), mais ce livre montre à quel point tout était moins noir et blanc (à la différence de l technique graphique…) que l’on voulait l’imaginer. Ce n’est pas le seul cas, les dictatures légitimée parce qu’elles étaient soi-disant l’unique rempart possible contre le communisme, on en a connu en Amérique Latine aussi. Mais je dois avouer que le cas de la Corée m’était moins connu et que ce manhwa a remis quelques pendules à l’heure. Le climat de suspicion et de contrôle est d’ailleurs très bien rendu, notamment dans les scènes de procès ou d’interrogatoire, mais aussi avec les affiches placardées un peu partout et traduites sous les images (ma « préférée », qui revient plusieurs fois est certainement : « Quelqu’un est bizarre ? Dénoncez-le ! », ça veut tout dire…).

Je conclus ici ma longue note de lecture, pour une longue bande dessinée coréenne, un long mahwa, qui allie l’histoire intime et l’histoire nationale, et dont le style très particulier, alliant avec une grande dextérité le blanc et le noir, participe pleinement à l’intérêt de ce livre. Il peut être difficile d’abord, les noms se ressemblant beaucoup on s’y perd parfois, ou bien les 8 histoires étant traitées en parallèle pouvant paraître introduire de la redondance. Mais ces difficultés passagères à entrer dans l’œuvre ne sont rien par rapport à sa richesse et à son intérêt.
C’est un livre prenant. Oui, il m’a demandé plusieurs jours de lecture, ce qui est rare pour un livre graphique, mais je suis contente de lui avoir consacré ce temps. Et l’objet est beau, c’est rare qu’une bande dessinée ait ornée d’une couverture de tissu. Et les 8 fleurs qui sont dessus, même si leur signification n’est explicitée que dans la dernière phrase des annexes (oui, il faut aller jusqu’au bout du bout !), prennent très vite sens, et disent toute la poésie et l’espoir qui sourdent dans ce livre malgré le sujet grave et lourd et la détresse des personnages. Un livre à lire parce qu’il sort de l’ordinaire et pour ses qualités propres. Un grand merci aux éditions Rue de l’échiquier qui ont entrepris sa traduction et sa publication.

Merci aux éditions Rue de l’Echiquier de m’avoir permis de lire ce livre, dans le cadre de l’opération masse critique de Babelio.

Je complète cette note de lecture par quelques images.
D’abord celle-ci, pas très bonne, mais qui est juste une planche prise au hasard. Il me semble que, même sortie du contexte et peu mise en valeur, elle laisse sourdre une partie de l’émotion que fait naître cette lecture.


Et ici, un travail sur les contrastes sur une double page qui conclut un chapitre.
Noir et blanc, présence et absence, réalité et rêve.

9Dilara86
Nov 13, 2022, 11:31 am

J'ai dû ajouter ce titre dans ma liste d'envie à la lecture du billet dans ton fil Club Read, mais comme ma bibliothèque ne l'a pas, je viens de réserver Je suis communiste 1 du même auteur, pour me faire une idée.

10LolaWalser
Nov 13, 2022, 1:20 pm

>6 Dilara86:, >7 raton-liseur:

Oui c'est cher--je l'ai emprunté à la bibliothèque. Je crois que c'est très reussi et, au moins, les avis que j'ai vu étaitent uniformément bons. Je ne connais pas la mythologie dont elle s'est inspirée, donc ma critique est très limitée, mais ça m'a semblé follement beau et fort (j'ai même un peu pleuré) et l'utilisation dans l'intrigue presque géniale.

>8 raton-liseur:, >9 Dilara86:

Très interessant.

11Dilara86
Nov 15, 2022, 10:05 am

>10 LolaWalser: Du coup, je l'ai réservé à la bibliothèque. Je ne risque rien. Au pire, je n'aime pas, au mieux j'aime et je découvre une nouvelle artiste.

12raton-liseur
Nov 15, 2022, 1:17 pm

>9 Dilara86: Je suis curieuse de savoir ce que tu en penseras.
>10 LolaWalser: Merci pour ces précisions. Il n'est pas encore dans mon réseau de bibliothèques, mais je reste vigilante. Et on verra ce que >11 Dilara86: en pense, ça fera un deuxième avis!

13raton-liseur
Nov 15, 2022, 1:20 pm

Un récit graphique lu en février dernier et que j'ai beaucoup aimé car j'ai trouvé le ton très juste, même si les dessins ne sont pas ce que j'aime en général dans une bd.
C'est une des plus belles bd que j'ai lues jusqu'à présent cette année.

Ce n’est pas toi que j’attendais de Fabien Toulmé



Je ne peux, pour ce roman graphique (qui n’est pas un roman, mais un témoignage), que me joindre au concert de louanges qui n’a pas tari depuis la parution de ce volume en 2014. C’est un difficile pari que d’accoler sur la couverture le titre « Ce n’est pas toi que j’attendais » et le dessin d’un berceau. Mais c’est bien ce que raconte ce livre, le deuil de l’enfant que l’on espérait avoir.
La compagne de Fabien Toulmé attend en effet son deuxième enfant et, si le parcours médical est parfois un peu chaotique et si le futur papa est très angoissé, tout est « normal ». Alors à la naissance, c’est la douche froide : une trisomie 21 est détectée, et les pires cauchemars du papa prennent forme. Comment aimer cette enfant qu’il n’a pas voulue ainsi, comment être son père ?
En racontant tout avec une grande franchise, Fabien Toulmé nous livre un superbe témoignage. Superbe parce qu’il est beau comme le chemin de ce père vers l’acceptation du handicap et vers l’amour de son enfant. Superbe aussi parce qu’il ne cherche pas à se donner le beau rôle ou à donner des leçons de morale. Fabien Toulmé le dit, il avait peur de la trisomie 21 (on peut se souvenir de la façon dont les personnes porteuses étaient vues dans les années 80). Il dit aussi son incapacité à aimer sa fille lorsque celle-ci naît, une incapacité qui dure plusieurs mois. Il décrit de façon pudique le cheminement qui a été le sien, les difficultés, le regard des autres.
Avec ce livre, Fabien Toulmé fait le pari de changer notre regard sur la trisomie 21 et sur le handicap en général. Il était ce que beaucoup de nous pouvons être : mal à l’aise, gêné, maladroit. Il est passé de l’autre côté du miroir et a dû faire un long chemin pour cela. Il ne cache pas ses difficultés et ses réticentes, mettant beaucoup d’honnêteté dans ce témoignage, ce qui lui évite d’être lénifiant ou culpabilisant. J’ai bien versé ma petite larme, bien que justement Fabien Toulmé ne fasse pas dans le pathos. Mais la retenue dans son propos rend justement son témoignage encore plus fort, tout comme les dessins très simples et n’utilisant qu’une couleur (qui change à chaque chapitre en accord avec sa tonalité), des dessins qui ne sont normalement pas ma tasse de thé, mais qui ici servent le propos en les appuyant en même temps qu’ils s’effacent devant l’intensité des sentiments.
C’est une très belle œuvre graphique, qui m’a beaucoup touchée. Fabien Toulmé fait ici une merveilleuse déclaration d’amour à sa fille. Ce n’est pas l’amour paternel dont on a l’habitude, pas non plus l’amour paternel qu’il aurait voulu donner à sa fille. Comme tout parent qui doit faire le deuil de l’enfant rêvé, comme aiment à dire les psys, il a su réinventer son rôle de père, l’adapter à son enfant et celui qu’il est lui-même. C’est un beau livre sur la parentalité et sur la différence. J’allais écrire « une belle leçon », mais non, justement, ce livre ne se veut jamais une leçon, donc je préfère dire que c’est une belle histoire vraie de parentalité et de différence. Merci Monsieur Toulmé pour ce très beau livre qui me donne encore des frissons rien que d’y penser.

14Kiwi_des_neiges
Nov 19, 2022, 9:41 pm

>5 LolaWalser: Salut! Justement, je l'ai emprunté de la bibliothèque la semaine dernière. Je vais revenir pour en discuter une fois que je l'aurai lu.

15raton-liseur
Nov 20, 2022, 4:59 am

>14 Kiwi_des_neiges: Bonjour Kiwi des neiges (j'adore ce pseudonyme!), et merci de nous rejoindre et de participer à la discussion. Ce sera chouette d'avoir d'autres avis sur les bd (et après un petit tour dans ta -je peux te tutoyer?- bibliothèque, je vois que c'est un genre qui à l'air de t'intéresser!

16Dilara86
Nov 20, 2022, 9:24 am

Bienvenue, Kiwi des neiges :-)

J'ai reçu Je suis communiste : c'est un pavé que je commence aujourd'hui ! Par contre, j'attends encore et toujours René·e aux bois dormants, que le précédent emprunteur aurait dû rendre il y a quinze jours...

17raton-liseur
Nov 20, 2022, 11:32 am

>16 Dilara86: Vivement tes impressions de lecture!

Je continue ma rétrospective des bd appréciées cette année, avec cette fois un grand classique.

Magasin général de Régis Loisel et Jean-Louis Tripp
Cette critique se rapporte aux neuf volumes de la série.



Cela fait longtemps que je tourne autour de cette série. J’aime beaucoup Loisel, et j’étais curieuse de savoir ce qu’il pouvait faire d’un sujet réaliste. J’ai fini par m’offrir ces tomes en profitant des points accumulés sur la carte de fidélité de ma librairie préférée. Et je n’ai pas été déçue du cadeau que je me suis fait à moi-même.
Je suis entrée dans cette série sans rien en savoir à part qu’elle se passait au Québec dans les années 20 et j’ai aimé tout découvrir petit à petit, je vais donc faire une note de lecture très courte pour ne pas dévoiler ce que je n’aurais pas aimé savoir avant ma lecture.

Je dirai juste que j’ai aimé les personnages, les principaux, mais aussi les secondaires. On est dans un petit village finalement assez idyllique, les deux auteurs se jouent du cadre réaliste dans lequel ils inscrivent leur histoire pour proposer une sorte de mythe fondateur ou de récit des origines profondément marqué par le droit qu’a chacun de trouver sa place dans la société, d’exprimer son être profond sans peur d’être jugé ou ostracisé. C’est un merveilleux message d’espoir et de douceur qui traverse cette bande dessinée de part en part. Une idéalisation, c’est certain, mais cela fait du bien de lire une bande dessinée si pleine de foi en l’être humain et si confiante dans l’avenir.
On retrouve d’ailleurs cela dans les dessins. Les personnages ne sont pas idéalisés, beaucoup ne sont pas particulièrement beaux, mais ils sont humains, j’aime beaucoup la façon dont Tripp fait briller leurs yeux, et encore une fois, ils sont dessinés avec une immense tendresse et un immense respect.
J’ai lu tous les tomes en l’espace d’une fin de semaine, j’ai entendu chanter la langue, j’ai partagé les espoirs, les rêves, les émancipations de chacun des personnages, et j’ai passé quelques jours dans l’idée que l’être humain est finalement meilleur que ce que l’on se laisse parfois conter dans le feu de l’actualité. J’ai été requinquée par cette lecture, et je sais que je reviendrai à cette lecture et à ces trois jolis tomes de l’intégrale, aux jolies couleurs discrètes et tendres et au beau toucher de tissu. Un délice, une bouffée d’espoir qui accroche un sourire aux lèvres pour un bon moment.

18raton-liseur
Nov 20, 2022, 11:38 am

Et je mets aussi celle-ci en ligne, ce qui m'amène à la fin d'avril 2022. Je disais plus haut (>13 raton-liseur:) que Ce n'est pas toi que j'attendais était une des plus belles bd que j'ai lues jusqu'à présent cette année, celle-ci entre aussi dans cette catégorie. Pour de toutes autres raisons, mais c'est une bd absolument fantastique et, même si elle parle d'un événement de 1956, elle est hélas encore bien d'actualité.
Etrangement, ce sont deux bd dont le trait ne m'attire pas particulièrement, mais que je pourrais probablement lire et relire sans problème.

Gaza 1956 : En marge de l'histoire de Joe Sacco, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sidonie Van den Dries
Titre original : Footnotes in Gaza



La question, ce n’est pas de gagner.
C’est de résister jusqu’au bout.

(p. 379, “Vous les avez vus ?”).

Joe Sacco ne prend pas ses lecteurs pour n’importe qui… Pas pour des idiots, parce qu’il vaut mieux avoir un minimum de connaissances sur le conflit Israélo-Palestinien avant de se lancer, ou être prêt à faire quelques recherches pour s’y retrouver au cours de la lecture. Et pas pour des petites natures non plus, parce qu’il ne leur épargne rien des horreurs de la guerre. Si on est prêt à faire chauffer ses méninges et si on est prêt à être secoué dans tous les sens, alors on peut éventuellement s’engager dans cette lecture.
Et ce sera pour découvrir une œuvre graphique comme je n’en ai jamais vue. J’ai mis une semaine à lire cette histoire (et je ne lisais rien d’autre à côté), mais c’est bien ce qu’il faut pour avaler ces 400 pages sans concession. Le début est difficile à suivre parce que Joe Sacco nous balader dans l’histoire du conflit entre Israël et Palestine, sans aucun respect pour la chronologie. Si les choses deviennent un peu plus clair par la suite, on continue à faire des va-et-vient entre le présent de l’enquête de Joe Sacco (en 2002-2003) et le passé des événements auxquels il s’intéresse, 1956 comme le dit le titre.
Et dans ce va-et-vient historique constant, il faut jongler avec les différents niveaux de lecture que ce livre propose : il y a les faits bien sûr, ceux du conflit, mais il y a aussi l’enquête que mènent Joe Sacco et son fixer (le mot n’est jamais utilisé, mais il fait référence à une autre bd de Joe Sacco, qui se passe à Sarajevo, un autre théâtre de guerre s’il en est), Abed. L’enquête qui est une réflexion sur le métier de journaliste, ses liens et ses différences avec celui d’historien, une réflexion sur la mémoire et la notion de vérité, une réflexion aussi sur ce que retient l’histoire et ce qu’elle oublie (ou relègue dans les notes de bas de page comme l’indique le titre original, « Footnotes in Gaza »).
Tout cela fait beaucoup et peut faire peur, mais Joe Sacco nous emmène avec lui et ne nous lâche pas, faisant de cette lecture un moment éprouvant mais intense. Je ne suis pas une adepte de l’emphase mais j’ai du mal à ne pas user de superlatifs ici, car je ne crois pas avoir déjà lu une œuvre graphique qui m’ait autant remuée. J’ai pris mon temps pour la lire, parce qu’il m’était difficile de lire plus de 50 pages à la fois, parce que c’est dense et parce que c’est difficile. Mais je crois que je n’ai jamais vu le conflit Israélo-Palestinien de cette façon. C’est bien sûr uniquement le ressenti palestinien que l’on a ici, mais c’est très instructif, et un peu dépriment car, après avoir lu cela, on se demande comment ce conflit pourrait bien être résolu dans un avenir proche.
Lorsqu’il s’agit d’exposer les faits sur ce qu’il s’est passé à Khan Younis puis surtout à Rafah, Joe Sacco ne fait que donner la parole aux témoins qu’il a interrogés. Il fait un travail de puzzle minutieux, créant des paragraphes et un récit entier en mettant bout à bout les phrases des uns puis des autres. On a souvent une petite vignette de la personne sur la gauche de la page, avec la bulle qui retranscrit sa phrase puis un dessin sur la droite, qui reprend de façon visuelle ce qui est dit, avec parfois la même personne quelques 45 ans plus tôt. C’est une méthode rigoureuse, qui se veut sans jugement. Mais en s’effaçant devant son sujet, Joe Sacco nous le livre aussi sans fard, et rend les exactions décrites encore plus révoltantes. Il est facile de faire des parallèles avec des guerres plus connues, des exactions plus documentées : le tri des personnes, l’intimidation, l’humiliation… Je ne sais s’il s’agit d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité, mais c’est bien de cela qu’il s’agit, et j’ai du mal à imaginer ce que pourrait être une guerre propre, une guerre sans ces crimes (et la guerre qui accapare actuellement les médias en est encore un exemple).
Je m’arrête là pour cette note de lecture, je pourrais en dire tant et tant encore, et je ai l’impression de n’en avoir gratté que la surface. C’est un reportage graphique à lire et à relire pour en mesurer la portée et en explorer les dimensions. Une œuvre magistrale, d’un auteur que je découvre ici et dont j’ai bien l’intention d’explorer l’œuvre. A lire, à relire, encore et encore.

Je n'aime pas particulièrement le trait de Joe Sacco, surtout pour les personnes, dont je trouve souvent les traits trop grossiers. C'est aussi étrange de voir qu'il se représente sans yeux, on a ses lunettes, mais elles font écran (pour un témoin, c'est étrange de se représenter aveugle?).
Mais si la force graphique de l'œuvre n'est pas dans les visages, elle est dans la composition des images et des planches. Certaines images peuvent choquer, comme l'une de celles que je mets ci-dessous, mais il me semble que cette violence visuelle n'est jamais gratuite. Elle est là pour transcrire ce que disent les personnes avec qui il parle, elle est là parce qu'il ne faut rien cacher si l'on prétend dire la vérité.

Quelques planches issues de cette œuvre graphique extrêmement forte et marquante:

19LolaWalser
Nov 20, 2022, 2:25 pm

>14 Kiwi_des_neiges:

Salut, Kiwi des neiges!

>18 raton-liseur:

As-tu lu Palestine de Sacco? C'est la chose la plus forte que je connais sur le conflit israélo-palestinien.

20raton-liseur
Nov 21, 2022, 1:28 pm

>19 LolaWalser: Hélas non. Je voulais lire Palestine mais comme ma bibliothèque ne l'avait pas, j'ai emprunté celui-là, c'est le seul qu'on a de cet auteur. Mais j'envisage de le faire déposer sous le sapin...

21Kiwi_des_neiges
Modificato: Nov 22, 2022, 8:52 pm

>15 raton-liseur: Bonjour, merci à tout le monde de l'accueil si gentil! hihi mais oui, tu peux me tutoyer, et de mon côté, j'espère que mes fautes de français ne seront pas trop dérangeantes! J'ai hâte de découvrir des choses intéressantes à ajouter à ma pile à lire! Je suis tellement accro à la bibliothèque, même si je ne peux pas lire assez vite. C'est quand même un beau problème!

22Cecilturtle
Nov 23, 2022, 6:24 pm

Je suis allée à la bibliothèque où j'ai trouvé un "Paul", Paul en appartement par Michel Rabagliati. L'auteur a remporté le Prix du public au Festival international de la bande-dessinée en 2010 pour Paul à Québec, en plus de nombreux d'autres prix au fil de sa carrière.

Jusqu'à présent c'est mon 2e de la série et je l'adore autant que Paul à Québec. Les dessins sont très simples, en noir et blanc, et l'histoire paraît très biographique, racontée du point de vue de Paul. C'est touchant, léger, mais avec parfois des sensations fortes.

Paul en appartement parle d'un jeune Paul qui termine ses études de graphiste, rencontre sa compagne et emménage avec elle dans leur premier appartement.

23Dilara86
Nov 24, 2022, 10:13 am

Je réalise juste maintenant en lisant >22 Cecilturtle: que la série des Paul suit le modèle des Martine :-D

24Dilara86
Nov 24, 2022, 10:16 am

Je suis communiste 1 de Park Kun-woong, sur la base de l’autobiographie de Hur Young-Chul, traduit par Françoise Nagel et Lim Yeong-Hee


(désolée pour la mauvaise qualité de l'image : j'ai l'impression qu'Amazon a décidé de limiter les résolutions de ses couvertures)


Auteur sud-coréen écrivant en coréen (j’ai d’abord pensé, à tort, qu’il s’agissait d’une autrice parce que le personnage recueillant le témoignage du personnage principal dans le livre est une femme)
Traduction du coréen vers le français
Lieu(x) : Corée de l’occupation japonaise à la partition et Japon pour la partie historique, Corée du sud pour le lieu de narration
Première publication de la version française en 2014 ; date de la publication coréenne originale inconnue


Une double page représentative



Entretien avec l’auteur : https://www.actuabd.com/Park-Kun-woong-Je-suis-Communiste


Ce pavé de 300 pages est la première partie de la biographie graphique à la première personne de Hur Young-Chul, un paysan et militant communiste coréen de la première heure. Ce militant n’est pas allé s’établir au Nord, car son but était de créer un paradis communiste au Sud, ou plus exactement, dans la totalité de la péninsule coréenne. Il a passé 35 ans derrière les barreaux en tant que prisonnier politique, le communisme étant une idéologie interdite dans le Sud. On oublie parfois que la Corée du Sud était une dictature jusque dans les années 80. Il nous raconte son enfance et sa jeunesse dans une Corée sous occupation japonaise, la seconde guerre mondiale, l’occupation soviétique et étatsunienne, et le début de la guerre de Corée. C’est fascinant et édifiant. Et comme le livre est sans aucun doute destiné aux Coréens et Coréennes, pas toujours facile à suivre pour qui n’est pas au point sur l’histoire et la politique du pays.
J’ai cru comprendre que le graphisme de ce manhua n’était pas au goût de toutes et tous. Personnellement, ça m’a plu. Il est entièrement en noir et blanc. On alterne entre les cases très crayonnées et réalistes réservées à l’époque actuelle, et les cases beaucoup plus graphiques, rappelant des gravures sur bois. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser – et ça montre bien comment fonctionne mon cerveau – que le propos aurait été plus efficace, plus clair et plus complet sous la forme d’un texte classique émaillé de quelques illustrations.

25raton-liseur
Nov 25, 2022, 1:35 pm

>24 Dilara86: Dommage que cela ne t'ai pas autant plu que Un Matin de ce printemps-là m'a plu. Et ta remarque finale, le propos aurait été plus efficace, plus clair et plus complet sous la forme d’un texte classique émaillé de quelques illustrations, est intéressante pour un récit graphique qui est adapté d'un livre, si je comprends bien. La forme de la BD ne semble donc pas apporter quoi que ce soit au propos. Encore une fois, dommage...

26Dilara86
Nov 26, 2022, 4:59 am

>25 raton-liseur: Je ne voudrais pas que ma remarque refroidisse les amateurs et amatrices de bédés intéressé·es par ce titre. C'était un ressenti personnel portant autant sur ce livre que sur la bédé documentaire dans son ensemble : le ratio informations/pages est généralement assez bas. C'est comme beaucoup de documentaires à la télé : quand on retire les belles images, les reconstitutions, les passage musicaux, les récapitulations intermédiaires, les accroches, les animations, on se rend compte que la substantifique moelle - les données nues - tient sur quelques paragraphes qu'on aurait pu lire en 15 minutes. Mais malgré tout, les images ont leur intérêt, voire sont cruciales au propos, et donc on prend le tout comme il vient. Dans le cas de ce livre, j'ai aimé les graphismes et j'ai trouvé les informations intéressantes, donc pour moi, ça fait un tout réussi ; c'est juste qu'il ne faut pas penser que ça peut remplacer un essai - ça n'est pas possible quand le propos est délayé dans une ou deux bulles par case et dix cases par page. Par contre, au niveau de l'émotion pure, le dessin est irremplaçable.

27raton-liseur
Nov 26, 2022, 6:38 am

>26 Dilara86: Merci pour cette clarification. Je comprends mieux ce que tu veux dire. L'idée en tout cas à l'air très intéressante et creuse un sillon historique et politique similaire à celui de Un Matin de ce printemps-là.
Dommage que Je suis communiste ne soit pas disponible dans ma bibliothèque locale, et je n'ai pas l'impression que le livre qui a inspiré Park Kun-woong soit disponible en français.

28NoahDenham
Nov 26, 2022, 6:41 am

Questo utente è stato eliminato perché considerato spam.

29Kiwi_des_neiges
Modificato: Nov 28, 2022, 10:28 pm

>22 Cecilturtle: oh oui, Paul! J'ai appris pas mal de choses sur l'histoire du Québec à travers les aventures de Paul. Le fait que ces histoires sont inspirées de "la vie normal" les rendent même plus parlantes.

Paul au parc raconte la période mouvementée des années 1970 durant la Crise d'Octobre ainsi que le scoutisme, entre autres choses! Si je me rappelle bien, j'ai eu des larmes aux yeux à la fin.

C'est exactement comme tu l'as dit,《 C'est touchant, léger, mais avec parfois des sensations fortes. 》

30Cecilturtle
Nov 29, 2022, 4:48 pm

>29 Kiwi_des_neiges: Ah! Il faudra que je lise cet album! C'est une période qui a tellement marqué le Canada au complet et qui a forgé le paysage politique contemporain.
dilara86 je poursuis avec la suite à la mode des Martine ;-)

31Cecilturtle
Modificato: Nov 29, 2022, 5:00 pm

Je termine les deux premiers volumes de Virus 01. incubation et Virus 02. ségrégation par Sylvain Ricard et Rica.

Le premier tome est paru en 2019, juste avant la pandémie, et présage avec une incroyable justesse la pandémie. Ricard est biologiste de formation, et l'on voit qu'il a visé juste non seulement sur l'évolution de la maladie mais sur ses conséquences sociales, politiques, physiques. Tout se passe sur un bateau de croisière, dans un microcosme où tout est exagéré. Autant je n'étais pas sûre d'aimer, autant je n'ai pas pu poser le livre tant j'ai été tenue en haleine!

Le dessin est original: tout en dégradé de gris avec des jeux de lumière et de pixels, et des plans graphiques inattendus. C'est très efficace pour donner du mouvement ou raconter des flash-backs. Bref, je n'étais pas convaincue, mais maintenant je réserve tout de suite le dernier volume à la bibliothèque!

Et zut! la biblio n'a pas le 3e tome :(

32Kiwi_des_neiges
Nov 29, 2022, 7:08 pm

>31 Cecilturtle: Merci pour la recommendation! Ça m'intéresse. Le 3e tome est dispo à la BANQ si tu passes du temps en temps à Montréal.

J'ai également réservé Je suis communiste qui a l'air vraiment intéressant.

33raton-liseur
Nov 30, 2022, 5:50 am

Je ne connaissais pas la série des Paul. Cela a quand même l'air un peu plus politique que les Martine!

>31 Cecilturtle: Je ne suis pas sûre d'avoir envie de lire sur ce sujet maintenant, mais ça a l'air très intéressant. Je regarderai si ma bibliothèque les a.

34raton-liseur
Modificato: Nov 30, 2022, 5:59 am

Je continue avec les lectures de cette année qui m'ont particulièrement plu. Ici, encore, une bd qui date un peu. Pas vraiment un classique, mais elle avait fait quelques "unes" au moment de sa parution. Je croyais l'avoir lue quand M'man Raton me l'a offerte, mais visiblement non.

Le Photographe, intégrale d’Emmanuel Guibert (dessin) et Didier Lefèvre (scénario)
Cette note de lecture se rapporte aux trois volumes de la série.



La question du journalisme de guerre et de la photographie de guerre semble me travailler puisque, au cours de ma dernière lecture de bd, j’ai repensé à cette bande dessinée qui dormait sur mes étagères. J’étais persuadée de l’avoir déjà lue, mais ce qui devait s’avérer une deuxième lecture fut en fait une découverte.
En trois tomes, le photographe Didier Lefèvre raconte son premier reportage d’envergure, en 1986, lorsqu’il suit une mission de MSF dans l’Afghanistan alors en guerre contre l’URSS, un temps qui paraît bien loin aujourd’hui, celui où les Afghans en arme étaient encore les gentils. Cette bande dessinée avait fait sensation à l’époque pour sa forme, alliant le dessin d’Emmanuel Guibert et une partie des quelques 1 500 photos en noir et blanc prises par Didier Lefèvre durant son reportage de trois mois. Aujourd’hui, alors que la bd est un genre en pleine ébullition, la forme paraît moins novatrice et c’est surtout le fond qui m’a intéressée, d’autant que je dois avouer que j’ai peu accroché aux photos en noir et blanc de Didier Lefèvre qui ne semblent pas rendre complètement justice aux paysages et aux gens d’Afghanistan, tant elles ont souvent un petit côté flou ou décalé qui m’a empêché de les apprécier. Et puis les photos reproduites sont souvent de petite taille (surtout dans le premier tome, quelques photos sont mieux mises en valeur dans les tomes suivants), parfois comme s’il s’agissait de planches photos, mais cela nuit un peu à la force qui pourrait s’en dégager.
Sur le fond, donc, les trois tomes correspondent à trois moments bien distincts de la mission : la préparation et le voyage aller pour le tome 1, puis le travail sur le terrain en tant que tel dans le tome 2, et enfin, le voyage retour que Didier Lefèvre tente en solo dans le tome 3. C’est le tome 2 qui m’a probablement le plus intéressée, parce que c’est ce que je cherchais en commençant cette bande dessinée, mais j’ai fini par être prise aussi par l’histoire de ce reporter qui dit tout en pudeur les difficultés de son reportage, ses sentiments, ses doutes et ses hésitations. Tout en pudeur, je crois que c’est l’expression la plus adaptée à cette série. Elle pourrait être très dure, elle l’est par moment, mais cela est raconté comme si tout cela n’avait été qu’une jolie équipée en haute montagne. Pas de plainte, pas de larmoiement, pas non plus de pose héroïque, non, les médecins sont là par conviction, mais ne prennent jamais pour des héros, ils ont l’air de faire cela pour l’amour de la médecine et de son exercice dans les conditions les plus simples. Une autre manifestation de cette pudeur est la reproduction des photos de Didier Lefèvre, qui alternent avec le dessin. Ces photos sont en noir et blanc, comme une litote pour rendre compte de la beauté des paysages, et elles sont si petites qu’on a du mal à les voir, à l’exception d’une poignée de photos, principalement dans le dernier tome, qui laissent enfin éclater la force de ces images.
Et c’est cela, on a du mal à voir. Pour apprécier cette bande dessinée, il faut se taire pour écouter son murmure, il faut s’approcher pour apercevoir les détails. Une bande dessinée qu’il faut apprivoiser, donc, et j’imagine qu’il est facile de passer à côté (elle a eu beaucoup de succès au moment de sa publication, mais plutôt pour l’originalité de sa forme, mêlant photos et dessins que pour son contenu), mais je ne sais si c’est moi qui l’ai apprivoisée ou elle qui m’a apprivoisée, toujours est-il que je me suis laissée prendre et que j’ai apprécié de partager ainsi le quotidien des membres de cette mission MSF. Une belle bd, qui, en nous ramenant aux débuts de l’engouement pour les ONG, fait réfléchir sur ce qu’est l’engagement, ce qui donne du sens à nos actes, les combats qui méritent ou ne méritent pas d’être soutenus.
Une très belle bd, qui demande une démarche active de la part du lecteur et qui vaut bien plus que pour sa forme novatrice à l’époque de sa parution.

Je me suis aperçue en écrivant cette note de lecture que Didier Lefèvre est mort en 2007, quelques mois après la parution du dernier tome du Photographe. Il avait 49 ans.
Dans un registre plus léger, Emmanuel Guibert, qui est l’auteur des dessins dans cette bd, a participé à des bd jeunesse, notamment la série Ariol dont il écrit le scénario, un petit âne bleu enfant unique et trop gâté qui a beaucoup fait rire P’tit Raton et M’ni Raton il y a quelques années. En tant que parent, je crois que j’ai surtout aimé détester cet âne égoïste et terriblement humain.

35LolaWalser
Modificato: Nov 30, 2022, 2:49 pm

l’Afghanistan alors en guerre contre l’URSS, un temps qui paraît bien loin aujourd’hui, celui où les Afghans en arme étaient encore les gentils.

Excuse le pédantisme, ce n'était pas le pays entier contre l'URSS, mais les islamistes qui se sont insurgés contre le gouvernment démocratiquement élu. Comme celui-là était de gauche et les insurgés étaient soutenus par les E-U et leurs amis, en effet, c'était encore une guerre des Américains contre les Soviets. On peut discuter si l'URSS a fait un bon choix en envahissant, mais encore ils ont perdu, les Américains "vaincu", et pourtant la situation est devenue celle que nous connaissons: rien que semble être une victoire glorieuse pour quiconque outre ces fanatiques rejets médiévaux.

36Cecilturtle
Nov 30, 2022, 8:18 pm

>34 raton-liseur: Ça fait bizarre de voir Guibert dans un sujet aussi sérieux. C'est grâce à Ariol que ma fille a développé le goût du livre, un moment savoureux que nous dégustions à lire chacune à notre tour les personnages. Je les lui offre encore pour que nous rigolions ensemble... et puis ça m'a tellement rappelé mon enfance en France! Un délice!

37raton-liseur
Dic 1, 2022, 6:40 am

>35 LolaWalser: Je tiens juste à préciser que cette façon de décrire le conflit est à prendre au second degré. Elle reflète la façon dont la guerre était généralement décrite dans les médias, mais ne reflète pas une vision personnelle...

>36 Cecilturtle: Chez nous aussi, Ariol ce sont des bons souvenirs. Et je vois de temps en temps des Ariol sortis des étagères et relus pour la x-ième (à un âge où pourtant on n'est pas encore nostalgique de son enfance...)

38Kiwi_des_neiges
Modificato: Dic 4, 2022, 6:13 pm

Questo messaggio è stato cancellato dall'autore.

39Kiwi_des_neiges
Modificato: Dic 11, 2022, 8:33 pm

Questo messaggio è stato cancellato dall'autore.

40Kiwi_des_neiges
Modificato: Dic 11, 2022, 8:38 pm

>5 LolaWalser: J'ai fini cette BD René.e aux bois dormantes la semaine dernière, et j'ai même écrit qqch ici avant de supprimer mes commentaires! En fait deux fois par erreur. ( Ça me stresse un peu d'écrire des commentaires! ) Justement, c'est une oeuvre qui fait tourner la tête. Je trouve que les illustrations sont magnifiques, parfois flashy et surréalistes, parfois très touchantes.

J'aime la quête de René.e à travère les rêves, et la recherche des ancêtres volés qui offrent une chemin vers l'éspoir, ou plutôt de la compréhension. Par contre, je trouve qu'elle essaie de traiter trop de sujets sans aller assez loin pour les explorer tous en profondeur. Par exemple, les personnes qui ont deux ésprits.

Je serai intéresée de savoir ce que tu as pensé!

#Dilara86 Il faut dire que je ne connais pas assez sur les mythologies des peuples premières nations pour passer des commentaires sur le traitement de ces histoires. Néanmoins, étant donné qu'elle est non autochtone, je n'ai pas aimé le fait qu'elle acknowledge nul pas au début du livre qu'elle raconte une histoire inspirée par une période très douloureuse pour les peuples première nations. Et c'est toujours douloureux.

Ainsi, je trouve qu'elle aurait pu trouvé une autre perspective pour raconter l'histoire de la famille de René.e. Le nom de Richard Wagamese est bien mentionné par contre, et j'ai l'impression que l'histoire est bien inspirée de lui et ses romans. Je ne sais pas trop par contre, c'est une hypothèse de mon côté!

41raton-liseur
Dic 14, 2022, 3:28 pm

Je suis vraiment intriguée par cette discussion autour de René.e aux bois dormants, alors j'ai fini par la réserver à la bibliothèque. Ce sera probablement pour janvier, mais maintenant je suis curieuse...

42raton-liseur
Dic 14, 2022, 3:33 pm

Un récit graphique qui a eu une certaine visibilité au moment de sa publication et qui est dans la sélection de quelques prix me semble-t-il. Ce n'est pas la BD que j'ai préféré cette année, mais elle a un intérêt certain.

Celle qui parle d’Alicia Jaraba



Je suppose que chaque culture a son personnage ambivalent. En tout cas, le Mexique en a un, et c’est la Malinche, cette femme dont on sait peu de choses sinon qu’elle fut la traductrice de Cortes lorsque celui-ci débarqua aux environs de la ville actuelle de Veracruz pour conquérir ce qui deviendra le Mexique. En tant que traductrice, elle est celle qui a trahi son peuple et permis à l’envahisseur de s’installer, mais elle est aussi le premier pont entre les deux cultures qui se sont indissociablement mélangées et fécondées pour créer l’identité mexicaine moderne.
C’est de cette figure peu connue en France mais honnie autant qu’aimée au Mexique que cette bd fait revivre. Fidèle au peu que l’on connaît d’elle, Alicia Jaraba reconstitue le reste de façon aussi plausible que possible et donne un portrait de la Malinche qui porte déjà en elle toutes les contradictions qu’elle incarne aujourd’hui. En même temps, Alicia Jaraba propose une réflexion sur la parole, son pouvoir et ses faiblesses, sur les langues et les cultures, leur cohabitation et la difficulté de se comprendre. La mise en images de ces difficultés est d’ailleurs assez originale et intéressante.
Il est un peu dommage que seul le début de la conquête soit évoqué et que la chute effective des mexicas (plus communément appelés « aztèques ») ne soit pas évoquée, mais les luttes entre les différents peuples sont retranscrites avec me semble-t-il une certaine fidélité et les reconstitutions des villes un certain réalisme.
C’est une bande dessinée intéressante, donc, par son sujet et la façon de le traiter. S’il y a peut-être quelques maladresses, elles ne gênent pas le propos et sont tout à fait excusables pour une bande dessinée, qui révèle une nouvelle autrice, ce qui nous promet de beaux albums à venir.

43raton-liseur
Dic 14, 2022, 3:37 pm

Et la BD que j'ai lue dans la foulée et que là j'ai beaucoup aimé, pour le sujet, mais surtout pour la douceur des dessins. C'est d'ailleurs la dessinatrice qui est créditée en premier, ce qui m'a surprise mais que j'ai vu quelques fois ces derniers temps.

Soixante printemps en hiver d'Aimée de Jongh (dessin) et Ingrid Chabbert (scénario)



Je sollicite rarement des œuvres graphiques sur netgalley, car la lecture sur les écrans dont je dispose ne leur rend pas justice. Mais quand j’ai vu la couverture de ce livre, je n’ai pas résisté, et quand j’ai lu le résumé, j’ai fait une entorse à mes principes. Et quel bien m’en a pris. J’ai dévoré ce roman graphique dès que je l’ai reçu et je suis encore sous le charme de ses dessins.
L’histoire est jolie et simple. Une femme de soixante ans qui décide de quitter son mari et qui, au gré d’une saison, l’hiver du titre, apprend à donner à sa vie la direction qu’elle souhaite. Une femme suffisamment forte pour cela, mais aussi pleine de doutes et de moments de découragement. Les personnages secondaires sont un peu caricaturaux (la réaction des enfants, la gentille voisine…), mais la personnage principale, Josy, est elle toute en nuances et diablement humaine.
Mais ce roman graphique est beaucoup plus que son histoire. Les dessins m’ont littéralement enveloppée dans leur douceur. Le trait fin, les couleurs pastel, très souvent dans les tons roses. Une immense douceur, une immense tendresse pour accompagner Josy dans cette réinvention de sa vie, avec ses moments de joie et ses moments de doute. Des dessins qui disent mieux qu’un texte les sentiments qui traversent cette femme.
Difficile d’aligner des mots pour cette note de lecture lorsque ce livre en est si économe, et à raison. Alors je crois que je vais m’arrêter ici, juste le temps de redire mon émerveillement face à ces dessins, et (je me répète) l’immense douceur qu’ils transmettent. Un roman graphique de la vie de tous les jours, de celle que l’on prend en main pour ne pas la subir, avec des dessins qui font de ce livre un petit cocon de tendresse dans lequel il fait bon se lover.

Merci aux éditions Dupuis de m’avoir permis de lire ce livre, via netgalley. Ce livre étant paru depuis quelques jours à peine au moment où je rédige cette note de lecture, je me prends à lui souhaiter de tout cœur de toucher un public nombreux et varié.

44LolaWalser
Dic 15, 2022, 1:58 pm

>40 Kiwi_des_neiges:

Somme toute, on dirait que tes impressions sont bonnes? Je ne me souviens pas de l'introduction etc. Le thème, l'intrigue et la mythologie se situent clairement dans le cadre canadien, hanté par le problème du traitement des Premières Nations.

Pour ma part, je suis heureuse que cet livre étrange existe, et pour qu'il existe il a bien fallu que l'imagination spécifique de cette artiste spécifique le rende tel quel. Le sujet est là pour tout le monde, mais la réussite de l'exécution dépend seulement du talent et du labeur de cette personne. (ama)

45Kiwi_des_neiges
Modificato: Dic 15, 2022, 5:57 pm

>44 LolaWalser: haha mes impressions sont seulement mon point de vue, vraiment pas plus que ça. Je n'ai pas non plus grandi ici, au Canada, et je ne peux pas parler pour les autres.

J'ai essayé à dire que les sujets de traitement des Premières Nations, et leurs traditions sont là pour tout le monde, mais est-ce que n'importe qui devrait essayer de raconter ses histoires en prenant la voix d'eux. C'est une question qui se pose souvent au Canada. C'est le Québec qui est né dans mon pays Cette BD explique ce que je veut dire d'une façon vraiment mieux que moi!! Je ne veux pas dire que qqn non autochtone ne devrait pas en parler, il faut vraiment discuter les histoires comme ça!!! C'est une question de perspective.

J'aime bien tes commentaires, c'est tellement vrai ce que tu dis. Elle a une vision imaginative et un don pour l'art, et on ressent clairement son humanité.

46Kiwi_des_neiges
Dic 15, 2022, 4:25 pm

En passant, pour un titre qui mélange la poésie, la mythologie, ainsi que l'espoir et désespoir, je recommande ce livre par une autrice et chanteuse innue, Tanya Tagaq Le titre en français est Croc Fendu. Il faut mentionner qu'il y a des sections qui concernent l'abus qui sont vraiment difficile à lire.

47raton-liseur
Dic 16, 2022, 8:26 am

>45 Kiwi_des_neiges: J'aime beaucoup ce titre. Pas sûre que ce soit une BD facile à trouver de par chez moi, mais ça donne envie de la lire.
>46 Kiwi_des_neiges: Je note ce livre aussi, merci! Tu sais dans quelle langue il a été écrit?

48Cecilturtle
Dic 17, 2022, 10:29 am

Je suis très influencée par vos lectures et je viens de terminer Paul au parc par Rabagliati que j'ai (encore) adoré.

Par contre, Paul à Montréal manque un peu de substance - ce sont une série de planches pour la célébration des 350 de Montréal. Je pense que c'était de grosses affiches à afficher dans la ville, et il a tenté une histoire. Ça devait être très beau en ville, mais en petit format c'est assez banal.

Enfin j'ai pris au vol à la bibliothèque Rues de Montréal par un collectif de bédéistes montréalais qui racontent des facettes insolites de l'histoire de Montréal - une ville vraiment étonnante! Ça m'a beaucoup rappelé Michel Tremblay et tout l'amour qu'il porte à sa ville. J'ai d'ailleurs trouvé des anecdotes qui ont dû l'inspirer pour sa trilogie des Cahiers. Mon seul reproche: certaines histoires sont vraiment trop courtes (il devait y avoir une limite de pages pour chaque auteur.)

49Kiwi_des_neiges
Dic 17, 2022, 2:12 pm

>47 raton-liseur: Le livre a été écrit en anglais, puis traduit en français. De mon côté, je vais commencer Je suis communiste. J'ai également emprunté Le livre de Jessie par le même auteur.

Sur un autre sujet, j'ai bien aimé ces BD's de Gabrielle Piquet : La Mécanique du sage et arnold et Rose

Ces sont des histoires intimes et discrètes des personnages sensibles et très humains. Les illustrations sont simples mais elles collent bien avec le style de narrative. Il n'y a pas trop d'action mettons, mais je les ai bien appréciées.

50Kiwi_des_neiges
Dic 17, 2022, 2:30 pm

>48 Cecilturtle: Merci pour la recommendation, je vais certainement lire Rues de Montréal. Pis moi qui aime ben Montréal, j'ai jamais lu aucun roman de Michel Tremblay, ni Gabrielle Roy! As-tu un livre préféré d'eux?

En parlant de Paul, il y a une murale dessinée par Michel Rabagliati dans ma bibliothèque du coin.

51Dilara86
Gen 4, 2023, 12:45 pm

Qu'est-ce qui s'est passé avec Kiwi qui a disparu sans crier gare ? C'est dommage !

Sinon, j'ai lu le recueil de planches de Copi : Les filles n'ont pas de banane. C'est intéressant en tant que témoin de la contre-culture des années 60-70, mais on ne peut pas dire que ça m'a fait beaucoup rire.

52raton-liseur
Gen 4, 2023, 1:27 pm

>51 Dilara86: Oui, j'ai vu cela aussi, c'est effectivement dommage.
J'ai lu un certain nombre de bd et romans graphiques ces dernières semaines, mais je n'ai pas eu beaucoup de temps pour écrire à leur propos. Je ne sais pas si ça vaut le coup, mais je mets ici encore quelques notes de lecture de 2022 pour des œuvres graphiques qui m'ont vraiment plu.

Perpendiculaire au soleil de Valentine Cuny-Le Callet



Parfois, j’ai l’impression de peindre des fleurs sur un mur pourri.
Si on me demande à quoi ça sert, je peux toujours dire « c’est joli », mais le mur part quand même en morceaux.

(p. 360, “Des Fleurs sur un mur pourri”).

Après la lecture de cet immense récit graphique, il me faut m’atteler à l’écriture de cette note de lecture et j’ai du mal à savoir par où commencer. Peut-être tout simplement en disant tout le bien que je pense de cette première œuvre de Valentine Cuny-Le Callet. Elle n’a pas choisi un sujet facile pour se lancer, mais un sujet qui lui tient à cœur, puisque cette jeune femme d’aujourd’hui 26 ans entretient depuis l’âge de 19 ans une correspondance avec Renaldo McGirth, un homme détenu dans le couloir de la mort d’une une prison de Floride. Ce récit graphique retrace la genèse de cette correspondance et ses étapes, la façon dont les liens se sont peu à peu tissés, ce qu’ils s’apportent l’un à l’autre. Et bien sûr, en parallèle, on découvre l’histoire de Renaldo McGirth et de ses démarches pour tenter d’obtenir la révision de son procès, ainsi que des données ou des réflexions sur la peine de mort telle qu’elle est pratiquée aux Etats-Unis, sur le système carcéral en général et sur le rôle du racisme institutionnalisé dans tout cela.
Et pour servir ce propos touffu (je dirais presque trop touffu, et parfois un peu décousu, comme si l’autrice avait voulu tout mettre dans cette première œuvre, plutôt que d’en resserrer le propos. Ce sera ma seule réserve et elle est bien minime), le travail graphique de Valentine Cuny-Le Callet est tout simplement époustouflant. Elle est étudiante en art plastique et elle met tout son art au service de son propos. Les illustrations sont, à quelques exceptions près (qui sont toutes des dessins de Renaldo McGirth), en noir et blanc. Ce sont soit des dessins soit des gravures, ce qui crée une alternance entre des dessins aux traits impérieux et d’autres aux traits plus sinueux, entre des dessins faits de grands aplats noirs et des dessins fourmillant de détails. Il est dit que le livre est écrit et dessiné à quatre mains (mais seule Valentine Cuny-Le Callet est créditée en tant qu’autrice pour des raisons expliquées en prologue du livre), mais je n’ai pas su distinguer les dessins de Valentine et ceux de Renaldo, c’est troublant.
En un mot, la forme est donc magnifique, le fond est tour à tour émouvant, révoltant, intime, philosophique, factuel, moral, et toujours prenant. J’ai été happée par ce livre, incapable de le sortir vraiment de mon esprit pendant les quelques jours qu’il m’a fallus pour le lire et qui me trotte encore dans la tête plusieurs jours après sa lecture. C’est un livre exigeant, qui demande du temps et de l’attention pour être apprécié à sa juste valeur, et c’est à mon avis une immense réussite que cet ouvrage. Il fallait un certain culot pour se lancer dans ce projet, un certain culot pour l’éditer aussi je pense, mais j’espère que ce culot se révélera payant et que cet ouvrage rencontrera le succès qu’il mérite.

Merci aux éditions Delcourt de m’avoir permis de lire ce livre, via netgalley. Au risque de me répéter, je souhaite beaucoup de succès à ce récit graphique et à ses auteurs.

53raton-liseur
Gen 4, 2023, 1:29 pm

Une bande dessinée plus ancienne, cette fois, mais qui semble un classique dans son genre.

Légendes de la Garde, intégrale de David Petersen, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marion Roman, Corinne Daniellot et Isabelle Troin
Titre original : Mouse Guard

Cette critique se rapporte aux quatre volumes de la série de bande dessinée « Légendes de la Garde », que j’ai lus dans l’ordre de leur publication :
Automne 1152
Hiver 1152
La Hache Noire, dont l’action se situe avant les deux premiers même si elle est racontée plus tard
Baldwin le Brave et autres contes, qui a pu être qualifié de hors série car il revient sur les contes qui ont bercé l’enfance de nos héros



« Des héros insignifiants, une intrigue insignifiante, et pourtant il arrive à en faire une histoire », c’est ce que j’ai dit en lisant cette bande dessinée, et M’sieur Raton, qui l’a beaucoup aimée, a trouvé ça très péjoratif, alors que ça n’était pas l’intention. J’ai probablement moins apprécié cette lecture que M’sieur Raton, ce qui m’a fait prendre conscience que je ne suis pas sensible aux livres qui sont avant tout centrés sur la création d’un univers. C’est peut-être pour cela que je n’ai jamais réussi à lire Le Seigneur des Anneaux (même si je ne désespère pas), alors que M’sieur Raton adore ce livre.

Bon, après ces considérations personnelles, il serait bon que je commence enfin à parler du livre. Il est donc question de tout petits héros, d’une histoire plutôt ténue, et pourtant, avec seulement cela, David Petersen arrivé à créer une grande fresque aux accents d’épopée.Car la série des Légendes de la Garde est une bande dessinée basée sur la création d'un univers, un peu comme Tolkien a créé ses Terres du Milieu, et non sur une histoire ou sur des personnages. D'ailleurs, l'impression de déjà vu (ou lu pour être plus exact) n'est jamais loin tant cette histoire reprend sans les modifier les codes des épopées héroïques.
Mais l’intérêt et la grande réussite de cette série n’est pas là mais dans les dessins et l’univers graphiques. Comme pour beaucoup de lecteurs, c’est la couverture, entraperçue dans les bacs de la bibliothèque de mon village qui m’a amenée à emprunter et lire ce livre (presque toute ma famille Raton a fait de même, c’est pour cela que j’aime bien laisser traîner quelques temps les bd empruntées sur la table du salon). Trois petites souris avec des épées minuscules (enfin, proportionnées à leur taille) et un regard fier et farouche écartant de belles feuilles d’érable aux couleurs automnales. Un mélange de douceur (dans les couleurs, dans le décor) et de caractère (dans le regard et le geste déterminé des souris), cette couverture est un résumé parfait du livre, qui est un alliage parfaitement équilibré entre ces deux contraires. Le meilleur exemple de cela est une vignette dans le premier tome , où les méchants partent assiéger les gentils. Ils sont harnachés en conséquence, leur chef fait une déclaration à la Poutine (« Il faut aux Territoires un chef unique, qui garantisse sécurité et prospérité, qui n ‘hésite pas à chasser nos prédateurs. Un chef qui soit davantage qu’un simple garde. », chapitre 5, “L’Aube de Minuit”,p. 107-108), et on voit les souris (les méchantes, donc) traverser une rigole d’eau sur des pommes de pin, dans un paysage baigné de lumières crépusculaires et sous une pluie battante, c’est mignon comme tout...

Pas besoin d’en dire beaucoup plus. Les dessins sont d'une grande douceur, avec des couleurs un brin passées et une profusion de détails qui fait de cet univers médiévalo-celtique un endroit très agréable où se promener. C'est mignon, c'est reposant, et si je peux me permettre ce néologisme, c'est évadant. Cette bande dessinée vaut avant tout pour ses superbes dessins, tant de la nature que des villes où habitent les souris, c’est un très bel univers pour qui aime se plonger dans ces mondes qui, bien que n’étant pas idéaux, font rêver.

54raton-liseur
Modificato: Gen 4, 2023, 1:32 pm

Et une bd canadienne cette fois-ci!
Elle m'amène à la fin de mes lectures d'octobre, j'ai donc encore quelques mois de lecture en retard pour alimenter cette liste de discussion...

Shadow Life d’Ann Xu (dessin) et Hiromi Goto (scénario), traduit de l’anglais (Canada) par Marie-Paul Noël
Titre original : Shadow Life



Avec ce roman graphique, on fait la connaissance de Kumiko, une femme âgée qui, on le découvre petit à petit, est bien décidée à vivre selon ses propres termes et non selon ceux que la société impose habituellement à ceux de son âge. C’est une femme qui a du caractère cette Kumiko, et elle ne s’en laisse pas conter, même quand il s’agit d’acheter un aspirateur. Elle sait apprécier les petits bonheurs ou les petites victoires du quotidien (une séance de piscine, se faire réchauffer un paquet de nouilles lyophilisées pour le dîner…) et ne se cache pas les embarras de la vieillesse (un mal de dos le matin après une nuit sur un mauvais matelas, l’incontinence, les oublis épisodiques...). Cela donne un portrait très nuancé et, je crois, très juste, des premières années de la vieillesse, quand on en voit les effets sur soi-même mais que l’on est bien décidé à lutter pied à pied et à continuer à profiter de ce que la vie offre encore.
Dans une seconde partie, la mort se rapproche, au sens littéral du terme, et l’histoire prend alors un tour différent, plus tragique, et avec une dose de réalisme magique qui permet de dire certaines choses autrement difficiles à exprimer. J’ai peut-être moins aimé cette deuxième partie, pourtant plus rythmée et plus dramatique, mais l’impression générale qui se dégage de ce roman graphique est un grand respect et une grande tendresse pour le personnage principal, respects et tendresse que les autrices savent faire communiquer au lecteur.
Avec un scénario assez tenu et qui pourtant tient la longueur, avec un trait qui relève plus du manga que de la bd traditionnelle, un trait qui ne fait d’ombre ni à l’histoire ni au personnage, c’est un roman graphique sans grande prétention mais bien agréable que l’on peut lire ici, avec une joie de vivre douce-amère que j’ai bien appréciée.

55Cecilturtle
Modificato: Gen 5, 2023, 12:12 pm

J'avais pris René.e aux bois dormants par Élène Usbin (traîné à bout de bras de la bibliothèque - ce n'est pas un album léger :P) mais je n'ai pas du tout accroché. Le dessin au départ intrigant m'a vite lassé, quant à l'histoire, je n'avais pas la patience.

Par contre, j'ai lu L'Onde Dolto (tome 1) par Séverine Vidal, Catherine Dolto et l’artiste Alicia Jaraba, qui raconte les deux ans de l'émission radiophonique de Françoise Dolto sur France Inter entre 1976-1978. J'ai adoré! Le dessin est très joli, tout en rondeurs et simple - mais communiquant remarquablement les personnages que l'on reconnaît tout de suite.
Dolto a beaucoup influencé ma mère et donc je retrouvé des préceptes de mon enfance. Enfin, j'ai découvert que le chanteur Carlos était son fils!
C'est une biographie très intime, joyeuse, respectueuse où l'on retrouve les conseils de Dolto, sa philosophie, son enfance, mais aussi le travail d'arrière scène et de préparation ainsi que le cadre mis en place par Dolto pour l'émission. J'ai vraiment passé un bon moment avec cette femme extraordinaire et sa fille, Catherine, qui l'a beaucoup aidée dans cette aventure.

56Cecilturtle
Gen 16, 2023, 3:41 pm

Je viens de terminer Yallah Bye, un récit fondé sur un fait réel de la vie du scénariste franco-libanais, Joseph Safieddine, où il raconte le conflit du Liban contre Israël en 2006, ou Guerre de 33 jours.

Le jeune Gabriel est séparé de sa famille qui est partie avant lui au Liban et, au lendemain de leur arrivée, la guerre se déclenche. Ses parents, sa sœur et son frère hémophile sont pris au piège et sont dans l'attente d'une évacuation.

Ça m'a beaucoup appris sur cet événement dont je me souviens mais qui ne m'avait pas particulièrement touchée. C'est un récit très intime, très fort où les cultures françaises et libanaises se côtoient. Il y a l'incertitude, l'angoisse, la peur, mais aussi la tchatche, la colère, le goût de vengeance.

Dans l'épilogue, il y a une comparaison curieuse entre le Liban et la Corée du Sud... c'est que le dessinateur est coréen et montre le parallèle entre deux nations qui ont vécu des vagues de colonisation, sont des pions dans les jeux des puissances et arrivent avec peine à se constituer une identité dans la foulée des enjeux politiques.

Je recommande définitivement!

57Dilara86
Modificato: Gen 17, 2023, 6:18 am

>56 Cecilturtle: Merci pour cette présentation : je vais voir si ma bibliothèque a un exemplaire :-)

ETA: elle en a un, mais qui aurait dû être rendu il y a un mois. On a vraiment un gros problème de rétention sur les BD empruntées....

58Cecilturtle
Gen 17, 2023, 7:33 pm

>57 Dilara86: Quelle déception!

59Cecilturtle
Feb 1, 2023, 6:01 pm

Je reviens de Grèce avec L'Île des oubliés de Roger Seiter et Fred Vervisch, inspiré du roman éponyme de Victoria Hislop.
Cette bédé raconte une page de l'histoire de Spinalonga, une petit île au large de la Crète, qui a abrité une colonie de lépreux pendant 50 ans au début du siècle dernier. L'histoire est un peu mélodramatique, mais elle raconte bien, non seulement le volet historique, mais la honte et la peur associée à la lèpre.
Je ne savais pas à quoi m'attendre et j'ai happé par l'histoire, au point de finir le livre d'un trait.

60Cecilturtle
Feb 4, 2023, 8:35 pm

Il fait très froid (-40) alors je lis beaucoup! Je viens de terminer une autre adaptation Homicide par Philippe Squarzoni, d'après le livre de David Simon sur l'équipe de homicides à Baltimore dans les années 1980.

C'est à la fois rude, impitoyable et incroyablement monotone. Squarzoni joue beaucoup avec la taille des cases, qui se lisent à l'horizontale ou à la verticale; certaines planches sont sur deux pages - ce qui crée une impression de mouvement. Le dessin presque dessiné à la règle montre la rigidité du métier et de la hiérarchie mais le jeu d'ombres montre les émotions et la difficulté que présente chaque affaires. Vraiment très bien fait. L'histoire se présente sous forme d'épisodes, et le dernier commence et d'interrompt laissant le lecteur en suspens... prête pour le tome 2?

61Cecilturtle
Feb 22, 2023, 7:43 pm

J'ai adoré Cet été là par Mariko et Jillian Tamaki. Deux pré-ado (ou toute jeunes adolescente) se retrouvent comme tous les étés à la plage Awago en Ontario. Mais cet été sera différent car elles abandonneront leurs jeux d'enfant pour jouer à l'adulte et de là commencera leur éveil, le passage nébuleux entre la simplicité et les complexités des grands. Il y a l'éveil sexuel, bien sûr (je devrais plutôt dire curiosité) mais surtout cette prise de conscience qu'il se cache des vérités souvent troublantes et difficiles.

L'histoire reste très simple, avec des dessins que j'ai adorés car les paysages sont ceux de mes vacances aujourd'hui dans les Muskokas et autres régions de l'Est ontarien. J'ai lu les 300 pages d'une traite tellement j'étais absorbée par cette histoire.

62Dilara86
Modificato: Feb 26, 2023, 10:16 am

>60 Cecilturtle: Ouh là ! -40 est une température que je n'arrive pas à me représenter : ça me semble irréel ! Le plus bas que j'aie vécu, c'était -12/-18 vers 85/86/87 et puis une petite semaine avec des minimales à moins deux chiffres en 1996, peut-être ?
>61 Cecilturtle: Il va falloir que je google les Muskokas...

Pour ma part, je viens de terminer La boîte de petits-pois de GiedRé, sur sa petite enfance et la vie de sa famille en Lithuanie soviétique. Le style de sa BD est tout aussi faussement enfantin et benêt que ses chansons. A la seconde page, j'étais déjà bien lassée et je doutais de tenir toute la longueur du livre. Et puis j'ai fini par m'habituer à la forme au point de ne presque plus la voir, et j'ai pu me concentrer sur le propos : l'URSS, c'était très nul et très super. Les papas et les mamans devaient toujours faire attention à ce qu'ils disaient, mais quand un adulte revenait de quelque part, il avait toujours des cadeaux et des fois, c'était même un chewing-gum et alors là, on pouvait le mâcher avant de le refiler au voisin et ainsi de suite jusqu'à ce que tous les enfants de la cour aient eu leurs minutes de mâchouillage, parce que chez nous, on savait partager. Bon, évidemment, il y a du fond sous les histoires d'enfants, mais le livre ne m'emballait que moyennement, jusqu'aux dernières pages en noir et blanc : une espèce de postface qui contextualisait le livre, qui fait le grand écart entre les souvenirs de GiedRé toute petite et les souvenirs ainsi que les points de vue de sa mère qui a souffert du système soviétique. Et tout d'un coup, le livre s'est mis à faire sens. Et finalement, j'ai plutôt aimé. Comme quoi, la contextualisation, ça a du bon !

63Cecilturtle
Mar 4, 2023, 7:24 pm

Je viens de terminer deux titres:

La Brume par Mireille St-Pierre, une bédé canadienne qui raconte l'histoire d'une jeune mère qui perd son bébé. Les dessins sont très sombres, très doux, vaporeux comme le petit fantôme qui accompagnera ses parents dans les dernières pages. C'est vraiment émouvant, raconté avec une grande simplicité. Vraiment un joyaux.

J'ai aussi beaucoup apprécié que le texte en anglais ne soit pas traduit (le couple est québécois mais l'histoire se déroule surtout à New York). Je trouve que ça donne beaucoup authenticité au texte: l'histoire est telle qu'elle est, sans recours à la traduction, sans distance, sans écrans.

Heureusement, j'ai lu Sa Majesté des chats par Naïs Quin, Pog et Bernard Werber avant l'autre. Alors que d'habitude j'aime bien Werber, j'ai trouvé cette dystopie violente et grotesque vraiment très désagréable avec des dessins agressifs et laids. J'avais été attirée par l'histoire des chats, mais j'ai été dégoûtée par les thèmes: abus des animaux qui prenne leur revanche, appât du gain et méchanceté, guerre et torture... bref, tout ce qu'il y a de plus vil chez l'homme.

64LolaWalser
Modificato: Mar 5, 2023, 5:34 pm

J'ai lu et adoré le dernier tome (6) de L'Arabe du futur de Riad Sattouf--combien de misères, mais aussi quel éclatant succès à la fin du jour. Nous nous sommes presque croisés en Syrie, ça m'a fait revenir tant des souvenirs...

P.S. Quelqu'un.e aurait des avis sur autres de ses titres, en particulier Esther? "Pascal Brutal" ne m'attire pas même si c'est satirique, et je manque de repères quand aux autres... ah oui, j'ai lu aussi le premier tome de "Vincent Lacoste", rien de spécial.

65Dilara86
Mar 6, 2023, 5:54 am

>64 LolaWalser: J'adore L'Arabe du futur et j'ai hâte que le dernier tome soit disponible à la bibliothèque.
Pour ce qui est des Cahiers d'Esther, je n'ai pas tout lu mais je suis plus ambivalente. Comme tu le sais probablement, ça a commencé sous la forme d'un feuilleton dans un magazine hebdomadaire d'information générale : la vraie Esther raconte sa vie à Sattouf ; Satouff en fait une page par semaine dans le Nouvel Obs. C'est très intéressant d'un point de vue sociologique et presque anthropologique. Il faut bien garder à l'esprit qu'Esther n'a pas de filtre, et que Sattouf ne contextualise pas ses propos. Donc c'est à la lectrice ou au au lecteur de faire ce travail. J'en profite pour faire un aparté sur les jeunes lecteurs et lectrices parce que ça me tient à cœur. Pour moi, balancer ces livres bruts aux enfants est un non-sens. Ils ne leur sont pas destinés et ils n'ont pas le bagage intellectuel pour les interpréter seuls. Il faudrait lire les planches en famille et en discuter au fur et à mesure. Il y a un côté commentaire social et de l'actualité au fil des semaines qui peut servir de tremplin pour des discussions familiales. Mais du coup, je ne sais pas si lire toutes les saisons quelques années plus tard est si intéressant que ça. Certaines planches vont avoir un intérêt historique ou psychologique, mais la plupart risquent d'être assez datées. Et enfin, la jeune Esther n'est pas très sympa. Ca n'est pas nécessairement un problème : on n'a pas besoin d'être gentil pour être un bon personnage de (auto-)fiction, mais mieux vaut le préciser pour celles et ceux que ça rebute. Elle manque d'empathie et de tolérance ; c'est la loi de la jungle dans la cour d'école et ça ne lui pose pas problème. Elle a un côté un peu réac. Heureusement qu'elle évolue dans le bon sens avec l'âge ! Bref, j'ai trouvé Les cahiers d'Esther intéressants mais pas du tout aussi drôles et légers que ce que pourrait le laisser penser leur empreinte dans la culture contemporaine.

66Cecilturtle
Apr 16, 2023, 5:46 pm

Je viens de terminer une autobiographie, Tombé dans l'oreille d'un sourd par Grégory Mahieux et Audrey Levitre qui raconte l'histoire de deux parents essayant d'obtenir des ressources pour leur enfant sourd alors même que son frère jumeau a une maladie grave. Ce livre démontre bien les hauts et les bas, les ajustements à la vie personnelle et professionnelle, ainsi que les obstacles aussi bien posés par l'administration, le travail ou la famille. C'est raconté du point de vue du papa, et il y a des passages vraiment très émouvants.

67Cecilturtle
Lug 26, 2023, 11:52 am

Je finis Mediator par Eric Giacometti et François Duprat, l'histoire inouïe sur le médicament d'amaigrissement qui a tué des centaines, voire des milliers de personnes, commercialisé pendant 40 ans. Bien que la pilule soit enfin retirée, l'histoire continue: il y a eu un appel comme suite au procès où les victimes estiment que le jugement n'a pas été assez sévère.
Le texte est parfois difficile à lire (petites lettres, notes en bas de page), mais le dessin est sobre et dynamique; l'histoire, quant à elle, se lit comme un véritable polar ahurissant.

68LolaWalser
Lug 26, 2023, 2:29 pm

>65 Dilara86:

Ouff, mille pardons!!!, je ne sais pas comment j'ai perdu ce fil... je te remercie pour les renseignements, ça me donne une idée très nette de la chose. Oui, à ce que j'ai vu, Sattouf vraiment n'écrit pas POUR les enfants, il est simplement très habile à projeter la psyché enfantine--et qui n'est pas nécessairement sympa du tout.

69raton-liseur
Apr 14, 4:48 am

Il est temps que je me remette à ce fil de discussion. J'espérais y être plus régulière cette année, alors il est temps que je rectifie le tir! Certes, j'ai lu peu de bd et romans graphiques depuis le début de l'année, mais tout de même, voici quelques titres, mis aussi en ligne sur mon fil de lecture sur Club Read.

Les Pays d'Amir de Séverine Vidal (scénario) et Adrián Huelva (dessin)


Une histoire mignonne (au sens où elle est pleine de bons sentiments et où « tout est bien qui finit bien », comme on dit) et plutôt conventionnelle, mais qui a l’originalité de s’intéresser à l’« après ». Il est question de migration, mais pas des difficultés du chemin, qui sont bien plus souvent relatées, ou du parcours administratif (ici tout juste évoqué). Non, c’est le côté humain de ce qu’il se passe une fois que l’on est arrivé. Qu’est-ce que cela veut dire d’être arrivé, qu’est-ce que cela veut dire de refaire sa vie ? Qu’est-ce que tout cela implique pour la vie d’« avant », pour la vie d’« où on vient ».
C’est une jolie évocation de la difficulté de l’exil et de la difficulté de l’intégration : comment vouloir cette intégration sans avoir la sensation de trahir là d’où l’on vient, et comment la faire sienne lorsqu’on la comprend inévitable. Plein de grandes questions plutôt suggérées que véritablement abordées dans cette bande dessinée à l’histoire simple et servie par un dessin expressif et de belles recettes de cuisine.

Les Coeurs insolents d'Ovidie (texte) et Audrey Lainé (dessin)


Comme quoi, on n’a pas tous la même adolescence… Ovidie a seulement quelques années de moins que moi, mais l’adolescence qu’elle décrit, pourtant celle d’une fille de fonctionnaires d’une banlieue pavillonnaire sans âme, n’est pas du tout la mienne. J’espérais, avec cette bande dessinée, mieux décrypter certaines choses de comment cela se passait hier. Cela a bien été le cas, mais le propos est peut-être un peu trop superficiel et unidirectionnel pour véritablement me parler. L’aller-retour entre l’expérience de l’adolescence dans les années 90 et l’expérience d’être mère d’une adolescente aujourd’hui est elle aussi une bonne idée, mais à part exprimer des craintes, je ne suis pas sûre d’avoir trouvé dans ce livre beaucoup de pistes de réflexion pour m’aider à mieux assumer ce rôle.
En définitive, je me dis que ce livre ne m’étais peut-être pas destiné. Pour aborder pour la première fois ces questions, peut-être a-t-il du bon, mais si on a déjà commencé à y réfléchir un peu, ce livre semble un peu trop effleurer son sujet pour être utile. Il semble plus comme une étape dans une réflexion qui n’est pas encore mûre (sur la façon d’être mère aujourd’hui) ou dans la mise à nu de certaines blessures qui ne sont pas encore tout à fait guéries ou qui n’ont pas encore été complètement soignées. Un livre qui me laisse un peu comme au milieu du gué, il me faudra trouver d’autres occasions de côtoyer cette autrice pour achever la traversée.

70raton-liseur
Apr 14, 4:49 am

Deux autres bandes dessinées lues en février dernier, dont Rivages lointains qui est une publication récente.

Rivages lointains d'Anaïs Flogny


Merci aux éditions Dargaud de m’avoir permis de découvrir ce livre, via netgalley.

Je sollicite rarement des bd sur netgalley, car lire sur un écran ne leur rend pas justice. Mais quand le résumé m’intrigue vraiment, je fais une entorse à mes principes. Cette histoire d’amour entre deux hommes des milieux mafieux de Chicago puis New York était vraiment tentante, et la couverture aussi me faisait de l’œil.
Me voilà donc embarquée dans cette histoire qui emprunte à tous les genres : du polar d’après ce qu’en dit l’éditeur, de l’amour aussi, du roman psychologique un peu… Et le dessin n’est pas en reste. Avec une ligne qui marie très bien le rétro des années 30 aux années 60 et une modernité certaine notamment dans le découpage des planches, cette histoire a du rythme et de l’originalité. Je m’attendais à une réflexion sur les codes de la masculinité, mais c’est plus une bd qui parle des relations amoureuses asymétriques, voire d’emprise.
Aucune scène de violence explicite, la plupart des scènes les plus difficiles se passent hors cadre et sont seulement suggérées (ce qui permet de conserver l’humanité et la fragilité du personnage principal, donnant ainsi au lecteur la possibilité de s’y s’attacher), une histoire pas trop complexe qui se lit facilement, agréablement, mais qui dérange juste ce qu’il faut pour tout de même faire réfléchir un peu.
Je ne sais pas pourquoi cette bd est éditée dans le nouveau label des éditions Dargaud, « Cosmos », consacrée aux jeunes adultes (qu’est-ce qui différencie les jeunes adultes des vieux adultes en terme de lecture ? Heureusement que je ne suis pas éditrice, parce que ces logiques commerciales ont tendance à m’échapper), mais même sans être jeune adulte, j’ai été intéressée, et je trouve cette première œuvre, réalisée entièrement par une seule autrice, du scénario au dessin, une très belle entrée dans le monde de la bd. Une première œuvre qui rencontrera très certainement son public et qui a un fort potentiel, une bd que j’ai aimé lire, et qui m’a fait écouter Beyond the Sea, une chanson qui a donné en français La mer, chantée par Charles Trenet, mais dont les paroles en anglais sont bien différentes et accompagnent bien l’histoire des personnages sur ces trois décennies.
Une bande dessinée qui n’amène pas le lecteur là où il pensait probablement aller au début, ce qui participe au plaisir de la lecture. J’ai même compris tous les implicites du dessin de la couverture lorsque je me suis à nouveau attardée dessus après avoir refermé le livre. Et j’ai bien aimé être ainsi surprise, par une histoire aux apparences simples mais menée de façon très intelligente.

The Fixer : Une histoire de Sarajevo de Joe Sacco, traduit de l'anglais par Sidonie van den Dries


Je poursuis mon exploration de l’œuvre de Joe Sacco, en changeant de continent puisqu’il s’agit de cette fameuse guerre qui s’est déroulée à notre porte, pas celle qui est en ce moment à notre porte, celle d’avant, celle de l’ex-Yougoslavie. Mais cet opus m’a hélas moins convaincue que mes précédentes lectures. Peut-être à cause de l’angle : ici il est question d’un seul personnage, et c’est sa vision de la guerre que l’on voit, alors que j’avais beaucoup apprécié le caractère polyphonique des précédents reportages bd que j’avais lus. Et puis il faut avouer que je me suis laissée tromper par le titre : je m’attendais à une réflexion sur le rôle du fixer dans le journalisme, et en particulier le journalisme de guerre, d’autant que l’on voit l’importance de son rôle par exemple dans Gaza 1956. Mais il n’en est rien. Neven, le personnage dont il est question, est effectivement fixer(entre autres choses), mais la façon dont il exerce cette activité n’est jamais véritablement évoquée dans le livre.
C’est donc une sorte d’interview en bd, entremêlée de considérations sur l’étrange relation (qualifiée d’amicale par Joe Sacco, mais qui parfois confine à l’extorsion) entre le témoin et son interlocuteur. Pas inintéressant, certes, mais pas aussi prenant que les autres reportages que j’ai pu lire de Joe Sacco.

71raton-liseur
Apr 14, 4:53 am

Et mes deux lectures de cette semaine, une bd assez récente (2021 je crois) pour Du Bruit dans le ciel et une bd sortie à la fin du mois de mars pour Les Ames noires.

Les Ames noires d'Aurélien Ducoudray (scénario) et Fred Druart (dessin)


Merci aux éditions Dupuis de m’avoir permis de découvrir ce livre, via netgalley.

Les Ames noires, facile de voir le double sens de ce titre. Noir comme le charbon que transporte Yuan et autour duquel gravitent tous les protagonistes de l’histoire, petit revendeurs locaux, intermédiaires, policiers corrompus ou main-d’œuvre qui charge et décharge, et même petits glaneurs en guenilles. Noir aussi bien sûr comme l’âme de certains.
Ce roman graphique se présente un peu comme un roman noir (encore…), dont il adopte les codes, mais c’est en fait une histoire où il ne se passe pas grand-chose, un camion qui prend la route, un camion qui est volé puis retrouvé, et puis l’histoire d’une corde à sauter aussi. Et c’est l’histoire éternelle des bons et des méchants : ceux qui veulent s’en sortir à tout prix quitte à écraser les autres sur leur passage, et ceux qui restent solidaires et qui savent faire les petits gestes qui comptent pour que toute cette vie reste supportable et même peut-être belle.
Rien de très révolutionnaire dans l’action ou dans les personnages donc. Mais l’intérêt de cette bd ne me semble pas vraiment résider dans l’histoire qui est plutôt un prétexte qu’une fin en soi, un prétexte pour montrer une Chine qu’on voit rarement, celle des campagnes reculées, celle qui n’a pas vu grand-chose de la mondialisation et qui n’a vu que les mauvais côtés de l’ouverture de la Chine au capitalisme à la chinoise. Les dessins sont le principal atout de ce roman graphique. Alternant plans resserrés et vues d’ensemble, ils font presque œuvre de reportage et font découvrir un monde insoupçonné, bien loin du clinquant de Shanghai ou des idéaux de Hong Kong. Rien de tout cela ici, juste la survie, avec ou sans sentiments, et l’on se prend à s’attacher aux personnages et à vouloir leur souhaiter de s’en sortir, mais surtout, de garder leur humanité.

Du Bruit dans le ciel de David Prudhomme


Encore une fois, une bd que j’ai prise sur les étagères de la bibliothèque juste à cause de la couverture. La simplicité apparente du dessin, et puis l’antagonisme entre ce même dessin et le titre… Comme il n’y avait pas de résumé sur la quatrième de couverture, il me fallait lire le livre pour comprendre. Ce que je me suis empressée de faire…
Une bd qui retrace l’enfance de l’auteur, à Grangeroux, une petite cité dortoir située à côté d’une ancienne base militaire de l’OTAN, près de Châteauroux. Rien d’exceptionnel, juste un regard sur une enfance dans un coin de France un peu paumé, avec les évolutions de l’époque, le développement des zones pavillonnaires les changements que ces décennies apportent et la cohabitation de plusieurs époques.
Puis vient une deuxième partie, dans laquelle le ton et le propos changent. David Prudhomme est maintenant adulte et ne vient plus qu’épisodiquement à Grangeroux. Mais au fil de ses visites, il note les changements et les tentatives d’évolution. Il parle de cette France périphérique touchée par la désindustrialisation et le désamour, une France qui n’attire ni le touriste ni l’investisseur et qui cherche envers et contre tout à s’écrire un avenir. Les projets se succèdent, reflets de enjeux mondiaux, mais finalement, après la fermeture de la base militaire, rien n’aboutit véritablement et l’on a l’impression de rester coincé entre un passé qui s’efface inexorablement et un futur qui ne se dessine pas.
Avec ce qui serait presque un non sujet, David Prudhomme arrive à donner un consistance à ce témoignage d’un bout de France qui ne fait jamais la une que des journaux locaux, mais qui est pourtant le quotidien de beaucoup. Un bel exercice littéraire, et une lecture intéressante, servie par des dessins d’une très belle facture mais aussi d’une très grande tendresse.

72LolaWalser
Apr 22, 3:12 pm

>65 Dilara86: etc.

J'ai lu les trois premiers tomes de "Cahiers d'Esther", ça m'a assez plu. Tes remarques sont très justes, même si moi, j'ai trouvé Esther plus attachante (étant sans enfants, c'est possible que je les idéalise un peu!)

Iscriviti per commentare